LeBron, la Brute et les rôles pas si modèles
Il y presque 3 décennies de cela, alors que j’étais jeune adolescente impressionnable, la vie des immigrés était quelque peu différente, mais les efforts de réussite scolaire étaient tout autant exigés. Il fallait étudier deux fois plus que mes camarades d’école. J’étais assez studieuse, mais je n’étais pas venue en France pour me reposer sur mes lauriers. Et mon oncle chez qui je vivais l’époque, paix à son âme, ne ratait pas une occasion pour me le rappeler. Il faut bien travailler à l’école », me répétait-il, reprenant régulièrement l’exemple d’un certain Agblemagnon, qui selon les dires de mon oncle aurait été un grand intellectuel togolais, peut-être même le premier agrégé du Togo. Ce n’est qu’un « on-dit », et je demande à qui que ce soit parmi vous chers lecteurs, qui aurait une meilleure version, de remettre ce factoid sur le droit chemin !). Bref le rôle modèle en chef était Agblemagnon, et tant pis si je ne savais pas à quoi il ressemblait ou s’il n’avait même jamais existé !
Vingt ans plus tard me voici maman de deux garçons, moins impressionnables que je ne l’étais à leur âge il est vrai. Et en fait de rôle modèle, je n’ai pas vraiment eu le privilège de leur en imposer. Les médias s’en sont chargés. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, en vantant régulièrement les mérites de personnalités aux exploits académiques, tel le récent prix Nobel d’économie Jean Tirole, ou le jeune Kwasi Enin, Ghanéen de 17 ans qui a été accepté par 8 des plus prestigieuses universités américaines, les fameuses Ivy League. Mais aucun intérêt de la part des miens. Sur leur liste, figure en tête LeBron James, suivi de près par Cristiano Ronaldo, Kanye West, Pharrel Williams, Stromae, etc. Bref, vous voyez où je vais. Je n’ai rien contre eux, ils sont sympathiques tous autant qu’ils sont, et souvent méritant de ce succès qui les couronne. Que faire d’un Agblemagnon ou d’un prix Nobel devant un tel lot. Rien. Ou plutôt, s’adapter. J’ai donc du faire avec la concurrence, en cherchant toujours à relativiser. En parlant, par exemple, des victoires du Miami Heat (équipe de basket où LeBron jouait précédemment), autant que de leurs défaites. Kanye West a un talent certain, mais c’est un mégalomane je dis souvent, suivi de la question « maman, c’est quoi un mégalomane ? » « C’est difficile à expliquer, mais ce n’est pas bien ». Voilà donc où j’en étais jusqu’à récemment quand le gros morceau m’a été offert sur un plateau, en la personne de Ray Rice.
Si vous ne savez pas qui est Ray Rice, ne vous inquiétez pas. Estimez-vous même heureux d’avoir échappé au matraquage des médias américains ces dernières semaines, avant que la psychose d’Ebola ne les appelle ailleurs. Ray Rice, héros local dans notre communauté non loin de Baltimore, grand joueur du sacro-saint football américain, a défrayé la chronique cette fin d’été quand, au grand dam du public, et encore plus de son club le Baltimore Ravens et de ses sponsors, on révèle une vidéo dans laquelle le grand Ray donnerait des coups à sa fiancée, devenue sa femme depuis lors. Ah Ray Rice ! Quelle affaire terrible ! Terrible pour sa famille (tragique pour sa femme qui après coup (et coups) doit faire bonne figure et prendre sa défense pour sauver leur face, et sûrement aussi, leur compte bancaire), terrible pour les supporters du club, terrible pour la réputation des dirigeants de la ligue de football américain qui auraient peut-être préféré étouffer l’affaire. Pour moi, une opportunité.
Opportunité de montrer le revers de la médaille de ces rôles modèles éphémères que les médias font aduler à nos enfants. Et quoi de plus agréable que de m’abattre sur un batteur de femmes ! Me voilà donc décortiquant le personnage, pour étaler son caractère égocentrique et mauvais joueur. Et oui, le malheur des uns, fait un peu quand même l’aubaine des autres. C’est un être humain vous me direz, et il a droit à l’erreur, comme nous tous. Et ce n’est pas de sa faute si la presse l’a fait passer pour un demi-dieu, subjuguant de jeunes garçons innocents dans la foulée, pour le laisser retomber en fracas après sa faute. Mais en matière de violence aux femmes, violence tout court, il n’y a aucune excuse. Ray Rice est donc descendu du piédestal, et le maillot à 45 dollars avec son numéro inscrit derrière qu’on aurait pu me forcer à acheter, oublié ! Voilà, un rôle modèle indésirable de moins! Mais la liste est longue, et un de perdu, c’est une centaine derrière. La lutte continue.
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