Conte de l’Oncle Sam : voyage au bout de la « DV Lottery »
Il était une fois un pays grand comme pas possible, mais bien réel, qui voyait tout en grand. Il y avait plein de grandes villes, aux grandes avenues, aux grands immeubles. Les habitants aimaient y vivre en grand aussi, et dans le reste du monde beaucoup rêvaient de faire comme eux. Le pays, appelons-le, États-Unis d’Amérique, se voyant si aimé et convoité, a voulu donner une chance à tous ces petits citoyens du monde qui voulaient les rejoindre. Ce grand pays était d’ailleurs historiquement composé d’immigrants, certains venus de gré, d’autres un peu moins. Quoi de plus naturel donc que de perpétuer la tradition.
Le pays a donc instauré en 1990 un système de loterie, la « Diversity Visa lottery », ouverte à la plupart des petits citoyens du monde. Depuis lors, de milliers de ces petits citoyens ont choisi de rejoindre les grands citoyens du grand pays. On recense dans un petit pays africain de la côte Ouest, qu’on appellera Togo, un très grand nombre de petits citoyens, qui ont pris la décision de laisser derrière eux leur petite vie. Ils sont partis, sacrifiant emploi décent, vie familiale, habitation acquise de longue haleine de traites bancaires, pour rejoindre ce qu’ils espéraient : une grande vie. Comme eux, le citoyen moyen décide de partir lui aussi, sans trop se soucier de l’inconnu de la vie dans le grand pays, et des obstacles potentiels : difficulté de communication, même avec l’anglais du secondaire remis à niveau, difficulté d’adaptation culturelle, sociale et professionnelle, et surtout grand mal du petit pays !
Néanmoins, le petit citoyen moyen n’est pas inquiet. Il verra bien une fois sur place, il s’adaptera. Mais avant, il faut traverser la rivière du long processus de l’obtention du visa d’immigrant. Deux ans d’échange de paperasserie pour arriver au bout de la procédure. Celle-ci commençait avec l’annonce des dates de la loterie par les autorités du grand pays, suivie de l’envoi du dossier avec la bonne photo, le bon diplôme, la bonne expérience, qu’il faut soumettre dans le bon délai. Puis on attend quelques mois. Enfin le citoyen moyen est sélectionné ! Après les procédures administratives, dont on passera les détails, mais résumera comme étant digne du grand pays, le citoyen moyen arrive enfin sur l’autre berge de la rivière de papiers. Le grand voyage peut commencer. Enfin, une fois que le souci financier est réglé. Alors il racle les fonds, brade tout ce qui est vendable, et met la clé de la petite maison en hypothèque. Cette fois, c’est vraiment le grand départ. Ah, c’est toute la famille, le quartier, le village même, du petit citoyen moyen, heureux élu, qui dansent de joie. Quelle chance de partir vers le grand pays, et de faire partager ce bonheur à d’autres, à tous peut-être, plus tard.
La tête pleine de grands rêves le petit citoyen arrive dans le grand pays. Les yeux grands ouverts, il est comme transporté sur une autre planète, il découvre un nouvel univers qu’il ne pouvait imaginer dans ses rêves les plus fous. Il est arrivé dans l’une des plus grandes villes du grand pays, qu’on appellera New York, et là « stupeur et tremblements », dans les mots d’Amélie Nothomb, suivi de dépaysement ! Quelques jours après l’arrivée, le petit citoyen devenu immigré reprend doucement conscience. Il retombe les pieds un peu plus sur terre, fait d’autant plus facile qu’il se retrouve à dormir sur un matelas à même le sol, que le cousin qui l’héberge a bien voulu mettre à sa disposition. Ah oui, le pays a beau être grand, le cousin n’en détient qu’un tout petit coin, qu’il a bien voulu partager avec lui pour quelques mois, le temps de trouver un emploi et un logement. Mais attention, il faut faire vite, le cousin a de la patience, mais la patience a ses limites !
Vite donc, il faut régulariser les papiers, trouver un travail. Tant pis si son anglais ne fait le poids, l’immigré moyen va se débrouiller avec. Il se décarcasse et trouve un emploi. Parlant de son diplôme universitaire et de ses vingt ans d’expérience passés à la banque dans son petit pays, il a pu convaincre son nouvel employeur que sa place était bien derrière le guichet. Tant pis si c’est celui d’une station d’essence. Il trouve un appartement dans un grand quartier, qu’on appellera le Bronx, connu dans le monde entier, et qui donne de ses nouvelles régulièrement. Tant pis si ce n’est pas toujours de celles que le petit immigré voudrait que sa petite famille au pays entende aux informations de 20 heures. Ce qui importe c’est qu’il peut enfin abandonner le plancher du cousin, dormir dans un grand, enfin moyen, lit et vivre sa grande vie! Commence alors sa grande-petite vie, dans le grand quartier, de la grande ville, du grand pays. Avec un petit peu de chance, il y vivra plus ou moins heureux, longtemps, avec la petite famille qui le rejoindra, et s’agrandira avec de nombreux membres, petits et grands.
Ceci est un conte, et non une fable, mais il y a quand même une morale : « Nul n’est prophète en son pays », soit, mais il fait parfois meilleur vivre chez soi.
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