Du côté de Chez Soi*
Bientôt la présidentielle au Togo. Et sans surprise, les énergies décuplent sur la Toile, comme dans la rue. Du côté de la diaspora, on n’est pas laissé en reste. Comme le veut la tradition, la période électorale est le moment que le citoyen moyen togolais, loin de chez lui, choisit de s’impliquer dans les affaires du pays. A travers les réseaux sociaux, divers blogs, et autres plateformes disponibles sur Internet, les Togolais d’ailleurs font entendre leur position haut et fort. Certains parlent de révolution à la burkinabè, d’autres désabusés s’en prennent à l’opposition une fois de plus disloquée, diluant ainsi ses chances face au parti au pouvoir, le bien nommé « Unir ». D’autres demandent ce qu’on a fait au Bon Dieu, et donnent en exemple le Nigeria.
C’est donc l’effervescence à l’approche du 25 avril. Tous les regards des Togolais de l’étranger, le mien y compris, sont tournés vers le pays, avec l’appréhension de troubles quasi inévitables, et un désabusement anticipé pour des résultats des urnes qui n’ont cessé de décevoir au fil des ans. Depuis plus de 50 ans que la même mouvance est au pouvoir, on finit par perdre espoir de voir une alternance démocratique se concrétiser. On crie au changement, mais la situation socio-politique, et l’économie stagnante du pays ne permettent pas vraiment d’avoir confiance en qui que ce soit des acteurs politiques. Les luttes intestinales, le peu de confiance en les instances électorales, les sempiternelles méfiances ethniques, pour n’en citer que quelques-uns, sont autant d’éléments qui ont contribué au dédain que beaucoup de Togolais à l’étranger éprouvent pour le processus électoral. Mais cela ne nous empêche de nous y intéresser de loin.
De loin, c’est encore plus facile de désespérer, quand on voit le fossé qui existe entre la politique de chez nous et celle dans nos pays d’adoption, en Occident. Je ne dis pas que la politique aux Etats-Unis soit forcément plus attrayante. Les coups bas, les « trafics » d’influence, les scandales de corruption, le monopole familial (à la Bush et Clinton, entre autres) existent aussi. Je ne suis pas américaine et n’ai donc pas droit au vote, et je ne suis pas non plus une experte en sciences politiques. Je ne peux donc que parler de ce que j’observe à distance raisonnable. Pourtant j’ai beaucoup appris pendant ces presque vingt années de vie sur le sol américain, grâce aux médias, polarisés à l’extrême, qui ne permettent d’ailleurs pas neutralité ou indifférence. Ici, même quand on n’a pas une voix aux urnes, on prend parti, et on peut parler. Et dans mon apprentissage de la démocratie américaine, la grande leçon retenue est que la politique n’est pas un jeu d’enfant ! Pour notre petit Togo encore en phase embryonnaire, il reste donc bien du chemin à faire.
Comme beaucoup de mes compatriotes de la diaspora, je retrouve un certain écho de mes aspirations dans le discours de l’opposition, sans pour autant le crier sur les toits, ou m’impliquer, mis à part quelques débats occasionnels sur les réseaux sociaux. Comme je le disais plus haut, je ne suis pas une experte en la chose. J’ai une ou deux fois été invitée à m’engager plus sérieusement, à travers ma plume, par exemple. J’ai préféré m’abstenir. Mon outil de prédilection, étant sans grande conviction politique, ne ferait probablement pas le bonheur de ceux qui la sollicitent. Et d’ailleurs l’espace est déjà très bien occupé, notamment par mes nombreux compatriotes de la plateforme Mondoblog : notre aîné David Kpelly dont la plume audacieuse et tranchante vient de sévir encore dans son dernier « pleurer-rire » Pour que dorme Anselme; ou les plus jeunes et non moins percutants Aphtal, Cyrille, Edem, Eli, Emile, Mawulolo, Renaud, Sena, et l’éloquente Judith, qui n’y vont pas par quatre chemins. Le camp opposé est aussi bien représenté sur la Toile, et les supporters du parti au pouvoir ne se laissent pas désarçonner par les discours du « raz-le-bol » et de « changement ou rien ». Les divers débats sur les réseaux sociaux montrent bien que de chaque côté, les participants sont convaincus du bien-fondé de leurs arguments.
Pour nous, loin de chez nous, malgré le fait que nous ne disposions pas de structures pour voter à distance, chacun fait donc de son mieux pour ajouter sa voix à défaut de son vote, au processus électoral. Evidemment, certains compatriotes restés au pays ironisent sur cet engagement sporadique à distance. Un ami ricane de cette fougue incandescente autour des échéances électorales : « Comme si le reste du temps, tout va bien dans le pays. Nous on est la, on voit la misère et la souffrance des gens, et on lutte pour le changement, au quotidien.» Et il a raison. Au début de cette semaine l’énergie sur la Toile avait redoublé, les élections devant se tenant le 15 avril. Maintenant qu’on vient de repousser la date au 25 avril, pour vérification des listes électorales, la tension semble avoir diminué d’un cran. Et si les expériences par le passé en sont une preuve, je crains que l’activisme du Togolais de la diaspora ne subsiste pas au-delà de la proclamation des résultats. L’excitation et l’intérêt s’essouffleront bien vite pour beaucoup, une fois que le pays retombera dans la routine défaitiste. Je n’ai pas de boule magique pour déjà prédire les résultats, mais je ne crois pas vraiment aux miracles. Après le tollé d’indignation, chacun retournera donc tranquillement à ses soucis quotidiens, avec un petit soupir de soulagement, en rêvant aux prochaines vacances.
J’avoue que je fais un peu partie du lot des « jemenfoutistes ». Pourtant, « le pays de nos aïeux », comme nous l’enseigne notre hymne national, ne mérite-t-il pas plus que ce regard occasionnel en temps d’anxiété et d’intensité électorales ? Comment attendre de notre pays un développement durable si l’action constante de beaucoup ne porte pas plus loin que le virement mensuel à la famille, les séjours estivaux intermittents, et les quelques clics hebdomadaires pour participer aux débats décousus sur les réseaux sociaux ? L’engagement civique ne relève pas que du politique. Qu’en est-il de la contribution intellectuelle ou financière pour le développement, en éducation ou en santé publique, par exemple. La diaspora togolaise dispose de milliers de diplômés de haut niveau, avocats, ingénieurs, médecins (dont un ami qui a été mentionné récemment dans la presse française, le professeur Adotevi). Alors que le retour au pays relevait presque du domaine utopique pour beaucoup des nos aînés, il y a une vingtaine d’années, c’est devenu beaucoup plus envisageable aujourd’hui. Pourtant beaucoup choisissent de rester et d’évoluer dans leur pays d’adoption, peut-être de peur de rentrer faire face à des frustrations et découragements inévitables, une fois confrontés à des comportements et politiques « d’un autre temps ».
Quand bien même, il faudrait dépasser le négativisme habituel et considérer un véritable engagement économique et social, et, si on y tient, politique, voire un retour éventuel, pour contribuer de manière directe, à l’instar des nombreux jeunes entrepreneurs qui élaborent des projets d’ONG sur place (comme la jeune et dynamique Aimée Abra Tenu de la STEJ Togo), ou d’investissement avec dimension sociale (telle l’entreprise Cajou Espoir de Francois Locoh-Donou), ou de restauration comme l’incontournable maquis La Capitale de Giani Mathey-Apossan. Sans oublier les jeunes de SexyTogolais, Joubel et sa troupe, qui depuis le Nebraska aux Etats-Unis, grâce à leurs T-shirts et accessoires, ont donné un sérieux coup de pouce patriotique à la revendication de l’identité togolaise par les jeunes au pays comme à l’étranger. Il y en a beaucoup d’autres comme eux, certains tournés vers l’immobilier, d’autres vers l’informatique, commerce d’export-import… D’autres hésitent encore, et rêvent de pouvoir finalement faire le voyage retour un jour, pour arriver à vivre décemment du fruit de leur labeur, et créer des opportunités d’emploi. Pour cela il faut bien sûr élaborer solide et aller sonder le terrain. Sans un plan viable tout projet est voué à l’échec, comme le recommande un autre compatriote, Didier Acouetey, dans la rubrique » Les Africains se bougent » de « 7 Milliards de voisins » sur RFI.
Evidemment ce n’est pas facile de se jeter à l’eau. Un cousin qui a fait ses premiers pas sur le terrain raconte que « sans une présence locale solide, aucun projet ne peut démarrer dans de bonnes conditions ». Malheureusement beaucoup de Togolais de l’étranger se méfient des compatriotes sur place, parfois même des membres de leur propre famille. Sans doute les expériences désastreuses relatées de part et d’autre, notamment en matière de projets immobiliers, ont créé et exacerbé ce climat de méfiance qui existe entre Togolais d’ailleurs et ceux du pays. Par exemple, un oncle ou un cousin qui aurait promis la construction d’une villa pour ne livrer au final qu’un deux-pièces! Si nombre de ces cas critiques existent, il en est autant des réussites. Hélas seuls les mauvais exemples sont souvent décriés, jusqu’à en devenir des légendes urbaines, ce qui n’est pas pour encourager les plus timides d’entre nous. Qui a envie de voir ses économies dilapidées par des concitoyens malintentionnés ? Néanmoins qui ne risque rien n’a rien! Il faudrait annihiler cette suspicion vis-à-vis des institutions et des personnes, pour s’engager à long terme dans les affaires du pays, et répondre à l’appel de l’Hymne pour aller « Bâtir la cité ».
Voilà, en entendant les résultats de cette élection, et en priant pour un miracle, même si je n’y crois pas trop, je me permets de faire la leçon. Je sais que certains verront ici une vision simpliste et idéalisée du retour au pays. Qu’on ne m’accuse surtout pas de rêver! Je promets de faire des efforts et de suivre mes propres conseils aussi. Et si je ne le fais pas assez vite, ne m’en voulez pas, personne n’est parfait. Chacun n’a qu’à faire ce qu’il peut, et ce sera déjà un pas en avant. C’est avec l’effort de tous que le pays pourra avancer dans la bonne direction. Comme dans la chanson « Né Quelque Part » de Maxime le Forestier, « on choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille » ; et on ne choisit pas non plus son pays d’origine.
* Le titre est un clin d’oeil à Proust, mais le reste ne le regarde pas vraiment.
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