Autant en emporte le vent de l’espoir
Le 20 juin 1990, pas moins de 31 chefs d’Etat d’Afrique subsaharienne sont conviés à la grand-messe de la France-Afrique à La Baule, et entendent le mot d’ordre de François Mitterrand. Le discours du président français se veut novateur et encourageant, mais ferme. Les choses doivent changer en Afrique. Après tout, une nouvelle ère s’ouvrait. Roland Dumas, alors ministre des Affaires étrangères, dira, se référant aux bouleversements politiques en cours dans le bloc soviétique : « Le vent de liberté qui a soufflé à l’Est devra inévitablement souffler un jour en direction du Sud ». Il dira également : « Il n’y a pas de développement sans démocratie et il n’y a pas de démocratie sans développement ». Cette nouvelle équation semblait irrévocable, et l’Afrique toute entière se devait de ne pas manquer son rendez-vous avec l’histoire.
A l’époque, vivant à Paris, moi, jeune fille en pleine crise d’adolescence, je suivais l’actualité d’une oreille distraite, hormis pour noter des détails qui me paraissaient intéressants. Exemple, quand auraient lieu les cérémonies organisées par l’ambassade du Togo, pour célébrer le passage du chef d’Etat togolais en France, et surtout où fallait-il se rendre pour obtenir les 500 F traditionnellement distribués aux étudiants togolais. Oui cette année-là, j’y avais enfin droit, la seule et unique fois d’ailleurs, que j’en profiterais. J’en avais particulièrement besoin de ces 500 F. C’était bientôt les vacances, et le T-shirt et la salopette dont je rêvais m’avaient assez attendue. L’espoir était donc à son comble dans tous les cœurs des Togolais, au pays comme à l’étranger, en ce début d’été 1990. Ce mois de juin était prometteur de lendemains meilleurs.
Au cours des mois et des années qui ont suivi le Sommet de la Baule, le vent de l’Est a fini par souffler vers le Sud, et à l’ouest de l’Afrique. De conférences nationales souveraines, en marches de protestation, de mini révolutions, entrecoupées de quelques coups d’Etat et de force, nombres de pays, comme le Bénin voisin, ont fini par prendre goût à la démocratie. Chez nous au Togo les choses ont pris une toute autre allure. Notre conférence nationale a bien eu lieu. De grands discours ont fait de nombreuses célébrités. Du jour au lendemain des hommes et des femmes, jusque-là inconnus sont sortis de l’ombre et ont occupé le devant de la scène, pour demander démocratie et justice pour tous. Agglutinés à leurs postes de télévision à une chaîne, les Togolais ont assisté à un spectacle d’un genre nouveau. Les nouvelles idoles des jeunes n’étaient pas importées d’Hollywood ; c’était des avocats made in Togo, via la France. Tous les jeunes bacheliers ne rêvaient alors que d’intégrer la faculté de droit, pour emboîter le pas aux maîtres Koffigoh, Agboyibor, et autres beaux parleurs.
Moi, de retour au Togo, salopette et autres dans mes bagages, j’ai fini par comprendre les enjeux. J’ai mis de côté les envies de fringues prêter attention aux choses plus sérieuses. Comme beaucoup de jeunes à l’époque, je me suis mise au pas. On a marché, on a chanté, on a crié « assez ! A bas la dictature ! ». L’apothéose aura lieu deux ans après. Que de souvenirs de l’année 1992, et de la grève nationale générale, où nous avons erré sans buts précis. Près de six mois à tourner en rond, les études presque oubliées, sans savoir où donner de la tête, sans savoir que et qui croire. Les émeutes ont suivi, les coups de force aussi. On a compté des morts, des blessés, des meurtris. On a fini par se calmer et se laisser porter par le courant défaitiste. Beaucoup sont partis loin pour un temps, d’autres pour de bon. De guerre lasse, fatigués et déchus les Togolais ont pris leur mal en patience, en se disant que peut-être, le bon moment n’était pas encore arrivé.
Aujourd’hui, près de 25 ans après le discours de La Baule, les choses ont bien et peu changé. Le vent qui souffle vient maintenant du nord, une brise du Printemps arabe. Serait-ce enfin le bon vent ? Le père Mitterrand n’est plus qu’un souvenir dans les mémoires, et Hollande fait faible figure d’un fils en qui il aurait pu se réincarner. Chez nous, c’est bien le fils du père qui mène la danse. Dix après le décès de son père, le président Faure semble avoir réussi un nouveau tour de passe-passe pour se faire réélire, ce samedi 25 avril 2015.
Ce jour-là, je me suis réveillée de bonne humeur, pleine d’espoir. Je me suis préparée pour une journée excitante d’attente. J’ai scruté, commenté et partagé les articles sur les réseaux sociaux participant ainsi du mieux que je pouvais aux événements qui se déroulaient à des milliers de kilomètres, chez moi. Le soir nous avions prévu notre petite veillée électorale à la maison. Autant de moyens pour nous sentir proches de nos proches, qui eux vivaient le tout en direct. Les débats ont fusé, les théories se sont entrecoupées de clinquements de verre de vin et de bière, sur fond de bonne humeur. Dans la soirée, nous avons appelé mes parents à Lomé pour prendre des nouvelles. Ils dormaient déjà. Mon père d’une voix ensommeillée nous dit de rappeler le lendemain. Tant pis, on devra se rabattre sur TV5 monde qui annonçait le candidat-président favori, et un faible taux de participation. Ce soir-là, on passait le film adapté du roman de Margaret Mitchell, « Gone with the Wind » (Autant en emporte le vent) à la télévision. C’est un de mes films préférés, que j’ai vu maintes fois, mais ne m’en lasse jamais. Comme c’est à-propos, me suis-je dit, en ce jour d’espoir. Alors, telle Scarlett O’Hara, j’ai été me coucher en pensant « demain est un autre jour ».
Le lendemain, tel un jour d’anniversaire, j’attends les résultats avec l’espoir d’un cadeau- surprise, du genre de ceux jamais reçus, sans pourtant oublier que passé 40 ans, on est difficilement surpris. De même, le peuple togolais après presque un demi-siècle au même menu ne pouvait vraisemblablement pas croire qu’on allait lui servir un plat différent. Et pourtant l’alternance n’avait jamais autant semblé à portée de main, en cette année de bouleversement partout ailleurs. Il suffit de tourner la tête à gauche, à droite, ou regarder en haut vers le Burkina Faso, pour voir qu’un changement n’était pas impossible. Il n’y avait donc aucune raison de ne pas y croire. Finalement il n’y aura ni surprise ni désillusion. On annonce une tendance en faveur du président, mais les résultats officiels se font attendre. Il y a discorde sur quelques voix ; on parle de bourrage d’urnes, et de magouilles. Les réseaux sociaux s’enflamment et frisent la folie. C’est la cacophonie d’opinions et d’insultes. Les accusations fusent de toutes parts, et la question habituelle revient « Mais qu’est qu’on a donc fait au Bon Dieu ? » Il faut croire que notre heure n’a pas sonné. Ou a-t-elle sonné déjà peut-être, mais nous n’étions pas au rendez-vous, il y a 25 ans ?
Que faire alors maintenant ? Est-ce le moment de prendre une pilule du lendemain pour parer à toutes les éventualités, pour ne pas accoucher d’une souris plus tard ? Ou faut-il rentrer dans l’amertume et la dérision ? Faut-il refuser de faire face à la réalité, et voir en la visite de quelques présidents voisins comme en un signe des rois mages annonciateurs d’une bonne nouvelle ? Ou faut-il simplement accepter les choses comme elles sont, et donner une nouvelle chance à ceux qui n’en ont pas vraiment besoin ? A chacun de faire sa part des choses. Une chose est certaine, et prouvée depuis bien longtemps. Le désespoir n’a pas sa place dans le cœur du Togolais, en tout cas pas dans le mien. Je suis une optimiste. Je continuerai de rêver au miracle du changement démocratique, même si tout semble perdu. Car tout n’est pas perdu. Il nous reste nos bouches pour raconter nos déboires à qui veut l’entendre, nos yeux pour pleurer, et nos cœurs pour espérer. L’espoir nous appartient à tous, à ceux qui y croyaient, et y croient encore, comme à ceux qui ont déjà fait volte-face pour confronter les réalités du quotidien. L’espoir nous a fait vivre ces 25 dernières années, et pour nos parents près du double. Il pourra bien encore le faire pendant les cinq prochaines.
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