Bienvenue à Lomé ! Faites comme chez vous, mais n’oubliez pas que vous êtes chez moi !

Article : Bienvenue à Lomé ! Faites comme chez vous, mais n’oubliez pas que vous êtes chez moi !
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24 septembre 2015

Bienvenue à Lomé ! Faites comme chez vous, mais n’oubliez pas que vous êtes chez moi !

zemidjan

Dur, dur le retour des vacances. La rentrée des enfants, la reprise du boulot, le train-train et la routine quotidienne qui se remettent en place. Encore plus dur quand on a passé trois semaines au pays, dorlotée et chouchoutée par la famille et les amis. Toute l’anticipation mêlée d’anxiété pour les préparatifs du voyage (voir textes billets, coupures, kilos) sont loin derrière. Toute la sollicitude de tous les proches, à chaque instant pour vous faire plaisir, vous servir, et réaliser tous vos désirs culinaires les plus fous, n’est plus que dans nos mémoires. Il ne nous reste donc plus que les souvenirs et impressions à partager.

Rien ne se crée, rien ne se perd…

Tout se transforme chez nous. Le recyclage a de beaux jours devant lui dans notre pays. Des objets qui seraient en fin de vie sous d’autres cieux ont droit à une seconde chance. Les voitures d’un autre temps ressuscitent et se font une nouvelle vie sur nos routes. Et quelles routes ! Il y a les anciennes du temps colonial, certaines retapées selon les moyens et les besoins du dignitaire le plus proche et d’autres toutes nouvelles, pimpantes de goudron, arborant encore fièrement les affiches du candidat-président, témoignage des récentes élections. Ces belles artères traversent le centre-ville et au-delà, jusqu’aux nouveaux quartiers. Et là que de belles maisons ! Construites parfois sans grande coordination ou souci d’harmonisation urbaine, mais bon, on est chez nous alors on fait ce qu’on veut.

On est forcément impressionné par cette effervescence immobilière, cette excitation de construire partout. Certains l’attribuent au zèle financier des compatriotes de la diaspora. Mais parole de membre de la diaspora, notre petit pied-à-terre ne fait pas le poids devant ces grands palaces aux toits de tuiles rouges. Mais c’est clair que nombre de ces plans d’architecture sont « made in France, Germany, or USA ». Toutes ces constructions m’ont laissée ébahie. C’est bien beau, et c’est innovant, mais attention de ne pas se retrouver coincé entre deux de ces baraques, parce le voisin du milieu qui ne pourrait se permettre qu’un petit lopin de terre et une petite villa à un seul niveau, en perdrait son nord et son soleil!

Les grandes rues goudronnées avec sculpture de deux grands lions c’est bien…

Lionphotos

Mais le respect du code serait encore mieux. Il y a bien longtemps que j’ai abandonné l’idée de conduire à Lomé. La bataille pour dominer la route je n’y ai donc pas eu droit, mais mon malheureux conjoint qui y a participé quotidiennement m’a passé ses frustrations. Entre les « zemidjans » (taxi-moto) kamikazes, les chauffeurs de taxi prestidigitateurs, et les piétons acrobates, il faut trouver le moyen de sortir son épingle du jeu, pour rentrer chez soi, sain et sauf. Lomé reste trépidante de scènes insolites, plus loufoques les unes que les autres.

Je garde en mémoire les fous rires et regards incrédules de mes mes enfants en voyant un homme sur une moto transportant une femme, qui elle-même portait un bébé au dos, portant sur sa tête un panier rempli d’oranges (la femme, pas le bébé, fort heureusement). Ou un autre homme sur une moto, portant un téléviseur, ou un mouton, ou des sacs de charbon de bois. Ce sont des scènes étranges et dangereuses qui nous ont amusés, mais aussi attristés, car elles disent les difficultés de nombre de gens, qui doivent risquer leur vie au quotidien pour survivre. Que d’accidents sur notre parcours , dont un grave, pour nous rappeler régulièrement la dure réalité de tant de compatriotes qui se débrouillent comme ils peuvent.

La vie est dure, mais elle l’est un peu moins pour les affairistes…

Chez moi, il faut savoir saisir les opportunités d’affaires. Il faut faire avec ce qu’on a, et ce qui compte avant tout chez nous, c’est le sens de faire avec. Ailleurs on l’appellerait le « sens du business ». Il faut donc ouvrir un bar, une buvette, un petit coin avec quelques tables, de la musique et des boissons, et le tour est joué. Eh oui, la boisson est un mal nécessaire chez nous. Les options sont limitées pour beaucoup, afin d’oublier les problèmes, ou simplement se faire un peu plaisir. Les buvettes pullulent donc à tous les coins de rue et ne trouvent de compétiteurs que dans les ventes d’alimentation générale. Il faut manger et boire, pour vivre comme on peut, et ceux qui ont compris l’équation ne vont pas se négliger.

Pour ceux qui auraient manqué le bateau du business de boisson ou d’alimentation, qu’à cela ne tienne, il y a toujours les appareils venus d’ailleurs à recycler. Le port de Lomé regorge d’articles en tout genre, dont les frères et sœurs en Occident ont bien voulu se soulager. Il y a donc matière à business: articles vestimentaires, pièces détachées, appareils électroménagers, et le commerce le plus populaire : les téléphones portables. Chez nous, le cellulaire est roi, et les 2 compagnies locales qui se partagent le marché sont de dignes princesses. Le sujet togolais ne doit donc pas les offusquer et il faut acheter au moins deux cellulaires pour s’assurer sa part belle de communication. Qu’on ne mange pas tous les jours à sa faim, ainsi soit-il. Mais vivre sans cellulaire c’est inacceptable. C’est un crime de lèse-majesté que personne n’ose commettre. Pour ceux qui auraient la chance d’avoir une connexion wi-fi chez eux, et se sentent d’humeur généreuse on verra une foule attroupée sous leurs murs. Tout le monde se plaint du débit de l’Internet, mais on fait avec.

Ah vivement le week-end…

Tant de choses à faire entre vendredi et dimanche. On commence par les veillées funèbres, car le business de la mort est toujours en plein boom chez nous. Une amie raconte comment sa maman feuillette le journal au quotidien pour s’enquérir des veillées éventuelles et aménager son week-end en conséquence. Et cette bonne maman n’est pas la seule dans le cas. Chez nous on a accepté que la mort fasse partie de la vie, et il faut lui donner la place qui lui revient. On peut aller à une veillée le vendredi, un enterrement le samedi matin, et un mariage le samedi après-midi. Pour nous autres de l’extérieur c’est une réalité qu’on a un peu oubliée, et c’est d’autant plus dur quand on apprend la mort soudaine d’un proche, comme ce fut le cas pour nous. C’était un moment difficile qui a nous fait réfléchir et remettre nos vacances en question. Mais il a fallu se reprendre et accepter, comme le font les gens chez nous, et suivre le flot. Après la veillée le vendredi donc, on peut passer par un maquis. Ah, Brovi* quand tu nous tiens. Si vous êtes de passage à Lomé, ne ratez pas ce rendez-vous, surtout si vous êtes amateurs de poisson.

Samedi emmène son lot d’enterrements « must-go » avant toutes autres activités. Mais on n’est pas toujours obligé d’y aller, il semblerait. Si vous avez réussi à vous faire voir par qui de droit à la veillée, pour assurer votre soutien à la famille éplorée, vous pouvez esquiver les cérémonies d’enterrement. A moins que ce ne soit un proche, bien entendu. Car samedi le temps est précieux. Il faut aussi faire le marché pour les mamans, sortir les enfants pour diverses activités, faire du sport, s’occuper de la maison, se reposer, et peut-être se préparer pour les festivités du soir: un autre passage au maquis pour les plus chanceux, une sortie en boîte de nuit pour les plus branchés, une soirée entre amis pour les plus raisonnables, ou le repassage des effets pour la messe du dimanche pour les plus sages.

Viendra donc dimanche, et son bruit de fond. Dès sept heures du matin, la radio du voisin lance à tue-tête divers chants de louange pour nous mettre dans l’ambiance. A moins d’un délestage (coupure de courant intempestive), et là, c’est un silence inespéré et inquiétant qui recouvre la ville. On pique un nez dehors et c’est le défilé des habits du dimanche, de pagnes aux couleurs chatoyantes, du plus grand au plus petit. La ferveur se lie sur les visages, quelle que soit la dénomination religieuse. On s’empresse pour avoir les meilleures places dans les taxis et dans les lieux de culte. C’est le flot humain dans tous les sens, dans chaque rue, jusqu’en début d’après-midi quand la tension se relâchera un peu. On pourra alors se consacrer au festin du jour. Une fois consommé, c’est l’heure de la sieste, le repos mérité.

pureplageL’après-midi, la plage nous attend. C’est le point culminant de toute la semaine, le moment d’extase où l’on peut enfin respirer et se détendre. Pure Plage, Marcello Beach, ou la Cour des Grands, si on veut se prouver qu’on est quelqu’un, et si on en a les moyens. Ou la plage simple à ciel ouvert. Après tout, la mer nous appartient à tous. C’est un bien commun même si certains malins ont réussi en s’en approprier une partie, en y mettant une clôture pour nous faire mourir d’envie de voir ce qui se passe de l’autre côté. Mais la mer et le ciel sont bel et bien bleus partout. Juste le bruit de fond qui change, selon les milieux. La musique fuse à chaque coin de rue, mais là, plus de chants de louange. C’est Davido et Toofan qui se disputent nos oreilles. Les jeunes sont dans l’ambiance, et une Flag** aidant, on se laisse emporter avec eux. Il faut bien en profiter avant le coucher du soleil, qui ramènera lundi et son lot de soucis hebdomadaires.

Chez moi les choses avancent, mais ne changent pas vraiment. Les scènes de vie que j’ai connues en grandissant existent encore, tel un rituel sacré. La convivialité, la bonne humeur constante malgré les soucis, les espoirs de jours meilleurs, la ferveur religieuse, les efforts pour avoir accès à l’éducation, aux soins de santé adéquats, à l’eau potable, aux trois repas, les difficultés de tant de familles démunies, tous sont intacts. Evidemment, beaucoup de compatriotes ne sont pas à plaindre. Beaucoup s’en sortent plutôt bien, et d’autres s’en sortent du mieux qu’ils peuvent. Les « débrouillards » comme on les appelle. A ceux-là, je tire mon chapeau. On dit que « débrouiller n’est pas voler », et chez moi, se débrouiller, souvent sans emploi fixe, et s’en sortir, c’est un véritable exploit.

Voilà donc quelques impressions de mes trois semaines au pays. Si vous êtes à Lomé, vous comprendrez; si vous y êtes déjà allé, vous vous souviendrez, et si vous y allez un jour, sachez que le Togo est une terre d’accueil, et que Lomé vous recevra toujours les bras grands ouverts, tant que vous en accepterez les conditions.

*Restaurant connu pour le choix excellent de poissons braisés (et je ne suis pas payée pour l’écrire)!

**Bière très populaire (là aussi, juste de la pub gratuite!)

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Commentaires

Gilbert LOWOSSOU
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Tout simplement magnifique!
ça aurait fait un billet idéal pour le thème "chez moi c'est..." du concours Mondoblog il y a quelques mois. Qui n'a jamais mis pieds à Lomé rien qu'à lire ce texte en aura pour son compte! Tu y a tout décrit!
Châpeau!

Djifa Nami
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Merci Gilbert. Oui c'est chez nous.

Emile Bela
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Magnifique comme d'habitudes!

Djifa Nami
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Merci cher Emile!

Benjamin Yobouet
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On aurait dit la carte postale du Togo !
Cool, bien à toi,

Djifa Nami
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Merci cher Benjamin. C'est un peu le but de la chose :).