In WhatsApp Veritas ?

Article : In WhatsApp Veritas ?
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28 février 2019

In WhatsApp Veritas ?

Il y a un petit moment que je n’ai rien publié sur ce blog. Onze mois très exactement, une éternité dans notre monde d’information à trois secondes. Manque de temps, trop de préoccupations personnelles et professionnelles, et aussi une fatigue réelle de la toile. Eh oui, moi la férue du monde digital et de Facebook, je le confesse, j’en ai un peu marre du blabla d’internet !

Même si je reste connectée sur Facebook et Instagram, je me sens submergée par ce flot continu d’information, ce bruit incessant qui nous assaille au lever et nous poursuit jusqu’au moment où nous déposons notre téléphone pour nous endormir le soir. Du coup, entre SMF (« Social Media Fatigue ») et FOMO (« Fear of Missing Out »), mon cœur balance, mais j’ai bien compris une chose, je suis trop accro à l’information pour me laisser totalement anéantir. Je reste donc impliquée et j’observe, même si je suis un peu moins participative. Finis les débats sans fin, les commentaires en veux-tu en voilà, les publications intempestives.

Je suis donc sortie de l’adolescence sur la toile, et j’ai atteint ma maturité. S’il y avait un diplôme à décerner pour avoir survécu à ces années d’apprentissage, je pense que je le mériterais ! Forte de mon nouveau grade, je peux mieux analyser, décortiquer, choisir mes batailles, et faire abstraction des bruits inutiles. Et quel brouhaha ! Le plus assourdissant de tous, je crois bien que de nos jours c’est sur WhatsApp.

WhatsApp, le plus assourdissant de tous

WhatsApp, la plateforme démocratique qui a ouvert tout un univers à nombre de gens qui pendant longtemps étaient exclus des échanges élitistes de Facebook et Twitter. WhatsApp, le sésame pour entrer dans la communication interplanétaire, quel que soit l’endroit où vous trouvez, parfois malgré vous. Vous ne me croyez pas ? Allez au marché chez moi au Togo et demandez à n’importe quelle revendeuse ce qui se passe à la Maison Blanche à Washington. Elle vous racontera en détails les dernières frasques de l’occupant (ah oui, une note en passant pour ajouter que cette même personne n’est pas innocente dans les causes de mon aversion actuelle des RS, surtout Twitter)…

WhatsApp nous a connecté à un degré inimaginable, encore mieux je pense que Facebook et Twitter, ou même Instagram, et ce, seulement en l’espace de quelques années. De nos jours, je peux parler à ma mère à Lomé au quotidien, parfois deux ou trois fois dans la même journée, alors qu’il y a quelques années il fallait trouver le bon forfait, la carte téléphonique abordable, le créneau idéal pour un meilleur rendement. Je peux lui envoyer des photos du pagne que je voudrais faire coudre par ma belle-sœur et le modèle. Ma belle-sœur peut me retourner une vidéo en spécifiant les endroits qu’il faudrait mesurer (dans le triste cas où il y aurait encore eu une petite augmentation depuis mes dernières mesures). Mes parents à Lomé, mes frères en France et aux Etats-Unis, ma sœur à Londres et moi pouvons avoir une conversation en vidéo et nous raconter notre vie à tout bout de champ. Nous avons créé un groupe à travers lequel nous pouvons converser à longueur de journée tout en vaquant à nos occupations respectives.

WhatsApp nous offre la possibilité de communiquer quand nous le voulons, ou de rester passifs tout en prenant des nouvelles des autres, ou d’en donner discrètement à ceux de droit dès lors qu’ils sont dans nos contacts. Je peux partager une bonne blague avec tous mes contacts ou juste quelques-uns, et n’en attendre rien en retour, et en recevoir sans répondre, sans que personne ne s’en offense. Il n’y a pas besoin de se faire « des amis », de suivre quelqu’un, de connecter, de « poke », de « wave », de « like », de « comment », bref de faire quelque chose pour activer l’algorithme. C’est la liberté totale et le monde à portée des doigts. Ce n’est pas le bonheur ça ?

Les « vérités de WhatsApp »

Halte-là ! Avez-vous déjà été ajouté à un groupe WhatsApp malgré vous, et commencé à recevoir des dizaines de « chain-mails » ? Pas super ça, ou bien ? Avez-vous vu circuler l’histoire des poissons ou de la viande qui auraient tué toute une famille d’un seul coup sans qu’on en comprenne la cause ? Vous avez peut-être fait circuler…humm ? Avouez… Enfin n’avouez pas, c’est mieux ainsi. Vous avez peut-être reçu l’image de la chute d’eau qui coule directement du ciel vers la terre ou vice versa, selon la version, et les fidèles croyants pétrifiés devant ce miracle ? Cela se serait passé au Togo, mais je pense avoir vu une version similaire attribuée au Congo, la même image recyclée sans doute.

Vous avez dû voir la vidéo du riz en plastique cuit en « live », ou celui qui devient une boule digne d’un ballon de foot quand on le macère ? Et la vieille sorcière qui s’est transformée abruptement de sa forme d’oiseau et s’est retrouvée coincée sur la façade d’un immeuble ? Vous avez entendu peut-être parler de la femme coupée en mille morceaux dans une valise dans un hôtel au Nigeria ? Autant d’infos made in WhatsApp qui ont traversé mon téléphone à un moment ou à un autre.

La plupart du temps, je lis le message ou je regarde la vidéo avec un sourire en coin, je rigole quand je ne peux pas résister, et j’efface sans plus. Parfois je partage avec un gros emoji incrédule avec mes proches. Dans ma famille, la vieille génération est devenue spécialiste du partage automatique et incontrôlé de ce que j’appelle les « vérités de WhatsApp ». Une amie se plaignait du temps démesuré que sa mère passe sur WhatsApp, partageant en boucle vidéos et blagues, alternant avec des prières ou “témoignages” miraculeux. Rien de mal à faire suivre une prière ou un bonjour-bonsoir avec un bouquet de fleurs de temps en temps. Mais la photo du garçon transformé en serpent, alors là, non ! Même mon propre père, connu pour sa lucidité, m’a fait suivre des messages qui m’ont laissée plutôt dubitative, surtout par le fait qu’il avait l’air d’y croire un tout petit peu.

Si mon père généralement sceptique peut tomber dans le panneau, je me demande combien de personnes crédules acceptent ces vérités de WhatsApp sans rechigner, sans aucune remise en question. Combien de gens ont commencé à consommer religieusement telle ou telle plante aux supposées vertus médicinales sur instruction d’une voix numérique dont on ignore la provenance, au risque de se créer de réels problèmes de santé ? Combien de gens ont arrêté de manger du tilapia, de consommer de l’huile de palme (ce qui en passant n’est pas forcément idéal au quotidien, mais il faudrait en comprendre les vraies raisons), simplement à cause de rumeurs ? Combien de gens ont arrêté de se coucher d’un côté du lit parce qu’on aurait dit sur WhatsApp que cela pourrait engendrer un AVC ? Attention, je ne dis pas qu’il faut tout nier en bloc. Il y a des informations pertinentes qui circulent de temps en temps et qui pourraient aider des personnes en difficultés.

L’important, c’est le discernement

Je ne dis certainement pas d’arrêter de faire circuler tout message sur WhatsApp. Bien au contraire, quand il s’agit de blagues pour faire déstresser quelqu’un quelque part, c’est même un devoir ! Il y a tant de moments de tensions dont j’ai pu échapper pour quelques minutes juste en recevant une blague de WhatsApp, ce serait criminel d’en priver d’autres. Je ne pense pas avoir autant ri au quotidien, en solo, ou en duo avec mon conjoint, avant WhatsApp.

Récemment, des compatriotes Togolais ont créé une chaîne de messages comiques en essayant d’expliquer la signification du mot “gingembre” dans notre langue locale, le mina. Tous les coups étaient permis ! Des explications plus loufoques les unes que les autres ont permis un réel moment de partage humoristique entre compatriotes éparpillés de par le monde, que seuls nous Togolais pouvions comprendre, entre nous. Quel moyen fantastique de nous rapprocher, au delà des clivages politiques qui nous divisent si souvent. Une véritable ode au pouvoir socio-culturel des réseaux sociaux.

Cependant, il nous faudrait plus de discernement, surtout nous autres qui avons le luxe de pouvoir prendre du recul, et qui, avec l’expérience, avons la capacité de faire le tri et de ne pas tout absorber. Avec le temps, WhatsApp comme le reste, est en train de devenir ce terroir de rumeurs véhiculant information et désinformation, une machine à « fake news ». Et peu à peu, j’en viens à former ma carapace cynique devant cet outil que j’avais adopté avec plaisir pour son aspect pratique. Mais comme pour le reste, je ne pourrais probablement plus m’en passer. Si j’ose faire la fine bouche, il me faudrait juste jeter un coup d’œil sur ma facture de téléphone d’il y a quelques années pour me rappeler à l’ordre !

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Commentaires

Ecclésiaste Deudjui
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Très bel article Djifa. Les gens ne s'en rendent pas compte mais whatsapp est un véritable phénomène. À tel point qu'il y aura un avant et un après...
Merci pour ces explications qui ne Sont pas réellement différentes de notre quotidien :-)

Djifa Nami
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Merci Ecclesiaste. On se demande jusqu'ou on va arriver avec la folie de WhatsAp. Ces derniers jours je me rends compte qu'on est encore loin du fond du gouffre, quand je vois les bêtises qui ont circulé après l'accident de l'avion d'Ethiopian Airlines. C'est effrayant...