Un Amour de Chocolat. Au Bonheur, et Quelques Malheurs, de Deux Dames

Article : Un Amour de Chocolat. Au Bonheur, et Quelques Malheurs, de Deux Dames
Crédit:

Un Amour de Chocolat. Au Bonheur, et Quelques Malheurs, de Deux Dames

Chocolate-Love-WallpaperIl y a quelques semaines, j’ai appris avec grand plaisir l’ouverture d’une usine du chocolatier Cemoi, en Côte d’Ivoire. C’est bien sûr une bonne nouvelle pour l’économie du pays, et par extension, de l’Afrique. Mais c’est une très bonne nouvelle tout court. Enfin, du chocolat de qualité «fait maison» sur le continent ! Vous l’aurez deviné, je suis une accro de chocolat. Et pour prouver à quel point je suis accro, je vais vous raconter une petite histoire. C’est une histoire de chocolat, et aussi d’immigration. N’allez pas chercher de connexion cachée, il n’y en pas; enfin pas dans le genre métaphorique, mais plutôt littérale, parce que l’histoire va vous faire entrevoir un sous-sol.  Une autre connexion serait peut-être le fait que le chocolat est un bien essentiel au bonheur de tous, immigrés inclus. Par ces temps où les récits tragiques d’immigration abondent, je vais tenter d’apporter une touche plus légère à la question, en relatant une aventure qui m’est arrivée il y a plus de dix ans.

A l’époque j’étais jeune mariée, sans enfant, et assez libre de mes mouvements. J’aimais voyager et mon emploi me procurait la chance de le faire de temps en temps, avec la possibilité de faire des transits personnels après chaque mission, à l’endroit que je voulais, dans les limites du règlement. Par un après-midi d’Octobre, après un séjour en Turquie, me voici donc à Lille, en France. Je rendais visite à mon jeune frère, qui y étudiait. Ma grande amie d’enfance qui habitait Paris me propose alors de me retrouver pour passer le samedi ensemble, et remettre les pendules de notre amitié à l’heure. Apres une belle matinée à papoter nous décidons de faire quelques magasins. Mais très vite, nous nous lassons de la foule du centre commercial, et revenons sur notre décision, pour nous consacrer au tourisme. Nous faisons le tour du vieux Lille, puis reprenons le chemin de la Grand-Place. L’idée me vient alors de visiter une autre Grand-Place que je n’avais pas encore vue, celle de Bruxelles, qui était à moins d’une heure en train. Avec un peu de chance nous pourrions déjeuner près de la Grand-Place, voir le Manneken Pis, et surtout déguster du chocolat ! L’idée de croquer dans du chocolat fin est argument suffisant pour nous convaincre du bien-fondé de ce plan. Nous nous dirigeons vers La gare.

Après consultation des tableaux nous nous rendons vite compte que le seul moyen d’arriver vite à Bruxelles serait de prendre le prochain Eurostar en provenance de Londres. Il était annoncé entrer en gare dans une dizaine de minutes. Décision est prise et cinq minutes plus tard, billets en poche, nous courrons sur le quai. A peine une demi-heure dans l’espace feutré du train et on annonce l’entrée en gare Bruxelles Midi. Excitées, nous nous dirigeons rapidement vers la sortie, en essayant de ne pas bousculer. Je ne comprenais d’ailleurs pas pourquoi il fallait faire la queue pour sortir du quai. Peut-être un dernier contrôle des billets. Ce n’est qu’en approchant de la sortie que nous comprenons ce qui se tramait devant : contrôle des papiers. En fait, le train venant de la Grande-Bretagne qui est hors de l’espace Schengen, tous les passagers de l’Eurostar devaient être contrôlés. Ah ça s’explique, me dis-je avec une remarque exaspérée, commentant le paranoïa des européens, à demander des papiers à tous les coins de rue et de gare. Tout d’un coup je me rends compte de ma situation, en même temps que mon cœur qui fait une ratée de battement. Je n’avais aucune pièce d’identité sur moi pouvant m’exonérer. Mon passeport qui contenait mon visa était dans ma valise, à Lille ! Pas de panique me rassure mon amie : « avec un peu de chance ton permis de conduire américain et ta carte Visa pourront certifier de ton statut de touriste ». Je ne suis pourtant pas rassurée étant donné la demi-douzaine de passagers mis à l’écart sans aucune autre forme de procès, sinon le regard sans équivoque de deux agents.

C’est notre tour, et mon amie clarifie sa situation. Elle est résidente en France, mais n’a pas sa carte de séjour sur elle pour le prouver. D’un signe de main l’agent lui indique la masse. A mon tour j’essaie de m’expliquer mais sans succès. Une fois les passagers légitimes partis, les agents nous intiment en anglais de les suivre. Je tente une dernière fois d’expliquer ma position, mais les deux agents restent imperturbables. Nous sommes menés en fil indienne, tous des noirs, une dizaine au total, dans un dédale de couloir jusqu’à arriver dans un sous-sol, les entrailles de la gare Bruxelles Midi. L’endroit où se décidait le sort de milliers d’immigrants. Dans notre lot, il y a un jeune nigérian, qui engage la conversation avec nous. Où allons-nous et d’où venons-nous ? Mon amie irritée me dit de lui parler « ma langue » (l’anglais) et de lui dire de nous laisser tranquille. J’explique notre histoire, et il a un sourire entendu, du genre,  » vraiment, vous voulez me faire croire que vous êtes arrivées ici à cause d’une envie de chocolat !  » Eh oui, c’était pourtant vrai, et arrivée dans la salle d’attente, je me rendis compte du burlesque de ma situation. Il y a 24 heures j’avais quitté un hôtel 5 étoiles, pour prendre l’avion en classe affaires, et aujourd’hui je me retrouvais au fond d’une cave.

Les agents nous appellent dans une salle pour faire une déposition et nous recommençons depuis le début, sans meilleur succès. On nous retourne ensuite dans une autre salle d’attente. Mon amie est alors prise d’un fou rire incontrôlable, contagieux. Toutes les deux nous rions, sans pouvoir nous contenir, si fort qu’un agent revient. D’une voix coupante il nous ordonne d’arrêter de faire du bruit. Mon amie lui rétorque qu’il n’y aucune loi contre le rire, et l’agent tout rouge lui lance une insulte que je ne répéterais pas ici pour préserver l’amitié entre les peuples togolais et belge. Mon amie s’échauffe mais je la supplie de ne pas continuer, en lui rappelant ma situation. Je n’avais rien à faire en Belgique, encore moins dans un trou noir de l’administration belge, et si l’incident dégénérait je serai dans de beaux draps.

Nous resterons là pendant près de deux heures. Finalement on nous annonce notre rapatriement en France sur le prochain Eurostar, sous l’escorte d’un agent. C’est une femme qui vient nous guider vers la salle d’attente. Nous retrouvons les lumières de la gare, et de loin je vois le signe d’une chocolaterie clignoter. En blaguant, je demande à l’agent si elle ne pourrait pas au moins nous laisser acheter du chocolat. Elle ne bronche pas. Dans la salle d’attente nous retrouvons le nigérian. Il essaie une fois de plus d’engager la conversation. Je le laisse dans son monologue en acquiesçant d’un signe de tête au moment requis. Il cherchait à rejoindre des amis en Allemagne. Le train était annoncé pour 30 minutes. Une femme de ménage passe et repasse. Soudain, mon amie lui demande si elle ne pouvait pas aller nous chercher du chocolat en face. Elle hausse les épaules et tend la main. Quelques minutes après, nous sommes dans le train, en première, avec deux boîtes de chocolat devant nous, et un agent d’immigration à côté.

La suite de l’histoire est sans histoire. L’agent nous remet aux mains de la police des frontières française qui nous attendait sur le quai. Après un passage au poste, où mon jeune frère viendra me délivrer avec mon passeport, nous pouvons enfin déguster nos chocolats. Cette aventure est singulière et loufoque, mais loin d’être unique. Elle témoigne de la rencontre quotidienne entre agents de l’immigration et immigrants, parfois pour des raisons bêtes, parfois plus méchantes, parfois pour une envie, et parfois pour une simple question de survie. Elle aurait pu mal finir, comme celles de nombreux autres immigrants, en gare, en aéroport, ou pire encore, en mer. Elle s’est passée il y a plus de 10 ans, mais il y en probablement un tas du genre qui se déroulent encore aujourd’hui. Elle se passait à Bruxelles mais pourrait arriver n’importe où en Occident, mais pas seulement. Tout récemment, je racontais l’anecdote à des amis autour d’un repas, pour amuser un peu la galerie, et l’un d’entre eux nous a raconté des péripéties, encore plus rocambolesques, qui lui sont arrivées l’été dernier, dans un aéroport quelque part en Afrique. Je vous les conterais un jour, dans 10 ans peut-être, quand on pourra en parler, et en rire, sans conséquences.

 

Étiquettes
Partagez

Commentaires

Serge
Répondre

´Sous couvert d'un pays charmant en matière de traitement des immigrants ou de simples touristes, l'administration Belge est en fait l'une des plus rétrograde d'Europe... j'en ai chaque jour plus de preuves.