Djifa Nami

En attendant le grand changement

Bientôt la fin de l’année. Ce sera le moment de faire face à nos résolutions du début d’année, ces promesses faites à nous-même, certaines non tenues, et de nous dire que nous allons faire mieux la prochaine fois. Il va falloir affronter la nouvelle année la tête haute et pleine d’espoir, et regarder 2020 en face, avec une vision aussi claire que possible. Pour moi, comme pour beaucoup de togolais, 2020 sera l’année de tous les espoirs, l’année du « ça passe ou ça casse ». De quoi je parle ? Des élections présidentielles bien sûr, quoi d’autre ?

2020 de tous les espoirs

Il y a un moment que je n’ai rien écrit sur ce blog, par manque de temps, d’autres projets ayant requis mon attention, mais aussi par manque d’inspiration et de courage de parler de certaines choses, notamment de la politique chez moi au Togo. Car la politique togolaise a de quoi laisser patraque. J’en ai parlé dans un article ou deux, au fil des ans. A l’approche des élections, ou à chaque soubresaut populaire, je m’attelle à mon clavier pour discuter, espérer, et contribuer à ma modeste manière aux multiples débats. Une fois de plus, à l’approche des élections présidentielles prévues en février 2020, les énergies se décuplent sur la toile. 2020 serait-elle l’année de l’alternance, l’année du grand changement ? 

Si les dernières décennies nous ont appris quelque chose, c’est qu’au Togo les mêmes personnes font tourner la machine politique, les mêmes autres en souffrent. Pour nous qui vivons à l’extérieur, au-delà peut-être de notre contribution financière non-négligeable, nous sommes souvent des spectateurs impuissants. Tous nos espoirs se portent alors vers des élections qui à chaque fois nous ont laissés déçus et désabusés.

À en croire l’expérience des échéances électorales passées, dans quelques semaines beaucoup dans la diaspora se rabattront encore sur les réseaux sociaux, attendant que les compatriotes au pays aillent voter, ou plus tard peut-être manifester si les résultats ne sont pas ceux escomptés. On les incitera à sortir, pour nous représenter et démontrer leur colère et la nôtre, le ras-le-bol collectif, parfois aux dépens de leur vie. Laissant parfois un travail informel dont le revenu suffit à peine pour joindre les deux bouts, et risquant de tomber encore plus profondément dans la précarité.

Vive la révolution… Celle des autres!

Ici, loin du pays, souvent quand on se retrouve entre amis, pendant nos discussions autour d’un bon dîner les langues se délient. Il faut que le pays change, et si ce n’est pas par les urnes, alors il faudra forcer. Chacun émettant des hypothèses, des solutions de sortie de crise, entre deux gorgées de vin, dont on ne se souviendra pas vraiment, au petit matin. Qui d’entre nous serait capable d’abandonner son confort quotidien pour aller « forcer les choses » ?

C’est facile de vivre à l’étranger et d’exiger que les gens sur place au pays, depuis longtemps désespérés, vont faire notre révolution pour nous. C’est un peu facile d’imaginer que parce qu’ils sont directement touchés, ils se doivent de tout laisser, même leur misère quotidienne pour se battre contre le système. C’est un peu trop facile d’être à des milliers de kilomètres des émeutes, loin de tout danger, et de se dire que parce qu’on partage des vidéos de gens manifestant dans la rue, alors on participe activement au combat.

Ce n’est pas difficile d’être écœuré par les violences et de crier vengeance quand il y a perte de vie, derrière son écran, en direct de son lit douillet. Ce n’est pas bien difficile d’aller faire un petit tour un samedi après-midi ou un dimanche matin, devant une ambassade occidentale, et de prendre le risque de montrer son visage, un grand danger me direz-vous, de peur de voir sa famille au Togo inquiétée. C’est quand même injuste de penser que parce que nous sommes loin, nous ne pouvons pas faire plus que ça, et que c’est aux compatriotes restés aux pays de jouer, de forcer le changement.

Le silence sournois de la misère, après la tempête

Le reste du temps quand il n’y a pas d’élections, de troubles politiques, ou d’émeutes, la vie continue au Togo, comme ailleurs. Nombreux sont ceux qui dans la diaspora contribuent à la survie de leur proches et par la même occasion aident un pays au bord de l’asphyxie à inspirer quelques bouffées d’air, il est vrai. Mais tous les Togolais n’en profitent pas. La réalité quotidienne de beaucoup de nos compatriotes est des plus difficiles, et s’empire. La gangrène de la pauvreté avance pernicieusement et consume à petit feu toutes les couches sociales, dans tous les coins du pays.

Ceux qui sont abattus par la misère, sont aussi touchés au quotidien par le manque de soin, d’infrastructures adéquates. Ceux qui vivotent au jour le jour, se battent pour continuer malgré tout. Ils vont faire comment ? Ils vont attendre encore une autre élection ? Certaines vidéos de la fresque documentaire de l’artiste togolais Elom 20ce, élaborées pour son album « Aux Impossibles Imminents », illustrent parfaitement le quotidien de beaucoup de nos compatriotes. L’urgence est réelle pour eux, ils ont assez attendu. Si les choses ne changent pas par la voie des urnes, ou par les marches politiques, ou par les émeutes, ne peut-on rien faire d’autre?

Nous autres à l’étranger qui attendons et exigeons l’alternance ou rien, nous en avons les moyens. Alors nous restons intransigeants sur les solutions. Pour beaucoup, seul un changement de gouvernants pourra véritablement changer les choses aux Togo. De temps en temps lorsque nous sommes touchés de prêt ou de loin par la réalité de ceux restés sur place, quand un membre de notre famille décède subitement d’une maladie anodine, alors outrés et désespérés, nous critiquons les hôpitaux, les médecins mal équipés. Mais que faisons-nous après? Souvent, rien. Une fois l’outrage passé, nous attendons. Nous pensons que seul un changement radical pourra nous engager totalement, alors que tant de petits changements pourraient se faire, au niveau le plus infime. Nous pourrions chercher des moyens de contribuer à de petites actions qui pourraient faire une grande différence.

Il est vrai que de nombreux de Togolais dans la diaspora sont investis dans des projets sociaux  comme par exemple l’initiative Action Acces Sante, ou des projets ayant un réel impact socio-économique comme Alaffia, ou de création directe d’emplois comme LomeTaxi. Beaucoup d’autres ont des projets mais n’osent pas encore se lancer de crainte d’une dégradation possible de la situation socio-politique. Beaucoup encore ont de belles idées mais n’ont pas les moyens de les réaliser et pourraient se lancer avec un coup de pouce financier. Certains enfin, ceux-là que j’appelle les critiqueurs ambulants des réseaux sociaux, qui sont à l’affût pour examiner et juger les efforts de ceux qui s’engagent, ou essayent. Ceux-là qui se disent prêt à rentrer ou à contribuer seulement quand les choses changeront pour de bon. Mais à quand donc ce grand changement radical ?

Si rien ne change, changeons !

Cette année peut être les choses changeront-elles… Il y a déjà un différence notoire par rapport aux élections précédentes, l’éventualité du vote de la diaspora. À supposer que nous ayons pris la peine de nous inscrire sur les listes, ou qu’on nous ait permis de le faire. Il y a aussi de nouveaux visages qui émergent dans l’opposition, un renouvellement qui s’impose pour engager une nouvelle génération. Espérons que ces nouveaux candidats et la promesse de vote de la diaspora puissent motiver ceux et celles qui en ont besoin, et instiller un regain de patriotisme en nous tous pour nous engager, non seulement aux urnes ou sur la toile, mais également sur le terrain.

Pour ma part, depuis mon dernier article sur la situation politique au Togo, ma contribution a dépassé les discussions sur les réseaux sociaux et les quelques lignes sur mon blog, pour se porter sur quelque chose d’un peu plus concret. Avec l’aide d’amis et de proches, j’ai initié une petite bibliothèque de quartier à Agoe-Anome, Le Colibri. Ce n’est pas grand-chose en réalité, devant l’immensité du travail qu’il y a à faire, mais c’est déjà quelque chose, un petit début, comme pour l’oiseau qui fait son nid, petit à petit.

En 2020, quel que soit le résultat des urnes, trouvons en chacun de nous, le courage de nous engager durablement pour le pays, de poser des actes, et de porter des initiatives si insignifiantes soient-elles pour changer notre  pays. Il est temps de nous rendre à l’évidence, le changement que nous attendons viendra de chacun de nous, et non pas seulement de nos institutions. Changeons nos mentalités, nos attitudes, nos façons d’appréhender les réalités du pays. Que cette nouvelle année nous apporte un changement à tous les niveaux, et non pas seulement là où  nous l’attendons.