Au-delà de cette limite votre billet n’est plus valable*
C’est l’histoire d’un billet qui se justifie à plus d’un titre.
Nous voici en plein mois de février, laissant derrière janvier et son lot de « bonne année » et des quelques mauvais jours (si vous n’avez pas entendu parler de Charlie, je n’insiste pas). Le petit mois de février a grande importance bien sûr pour ceux qui fêtent la Saint-Valentin, et pour ceux qui, ici aux Etats-Unis, bénéficient du jour férié qu’offre la fête des présidents américains, sans oublier que c’est le mois de commémoration de l’histoire des Noirs américains. Ce sont des faits importants bien sûr, mais personnellement ce n’est pas ce qui compte le plus. Pour moi, c’est le moment de commencer à penser aux choses essentielles, c’est-à-dire aux vacances.
C’est donc le moment de faire les plans d’été, non pas parce que je suis une fainéante qui ne pense qu’à passer du bon temps, même si je ne m’en prive pas de temps en temps. En fait, la période entre fin juin et début septembre est un moment critique qui demande une organisation minutieuse. Il faut mettre en place un plan pour occuper mes enfants pendant plus de deux mois, quand ils ne seront pas à l’école; qui en camps d’été, qui en sorties diverses, week-end à la plage, visites aux parcs d’attractions, et que sais-je encore. Il faut s’y prendre bien à l’avance pour avoir le choix et bénéficier des meilleurs tarifs. Comme tous les ans donc, ce mois-ci, me voilà cherchant, « googlant », peaufinant nos plans de vacances. Cette année nous avons décidé de passer une partie des vacances au pays, à Lomé. Sachant que le voyage demande une préparation de longue haleine, je me suis mise à la tâche sans tarder.
Je trépide d’anticipation en recherchant les billets d’avion. Pourtant, c’est difficile de ne pas se laisser décourager par le manque de choix des compagnies aériennes qui desservent la capitale togolaise. Qui dit manque de choix, dit forcément monopole, et Air France ne se le fait pas dire. Près de 2 000 dollars pour un billet en classe économique, pour se donner un minimum de paix d’esprit, et voyager dans de bonnes conditions, enfin plus ou moins. Je n’arrive jamais à comprendre pourquoi il me faut payer beaucoup plus qu’un Chinois ou un Japonais paie pour rentrer chez lui, alors que son voyage couvre une plus grande distance. Je sais pourquoi, mais je ne le comprends pas. On explique le peu de choix de compagnies aériennes qui opèrent chez nous, du fait de la vétusté de l’aéroport de Lomé, qui ne peut accommoder autant de trafic aérien que le Ghana voisin, par exemple. La situation va peut-être s’améliorer avec l’ouverture du nouveau terminal qu’on annonce pour bientôt à Lomé. En attendant il faut payer le prix fort. Passons.
Une fois les billets achetés avec des grincements de dents, il faut commencer à penser aux cadeaux. Non, non, ne roulez pas des yeux, je n’exagère pas, ce n’est pas trop tôt. De février à août, il y a six mois d’écart, mais ce n’est jamais assez pour entamer la liste des cadeaux, et commencer à les entasser, tout en essayant de ne pas dépasser mes limites. A chaque retour au pays, je me promets de ne plus rentrer dans la spirale du « trop » : trop d’habits pour les enfants (et pour moi), trop de chaussures pour moi, trop de dépenses pour nous faire passer des vacances au pays comme si nous étions toujours un pied aux Etats-Unis et surtout trop de cadeaux futiles, qui se transformeront en trop de kilos. En vain. En fait mon conjoint et moi sommes tous deux issus de la grande famille africaine typique. Et de chaque côté il faut faire de notre mieux, comme le demande la tradition, pour montrer à nos proches que nous ne les avons pas oubliés. Je ne suis pas la seule dans le cas; un bon nombre de mes amis qui vivent à l’étranger se plaignent de ce rituel. Une amie jure de ne plus le faire, étant donné le manque d’enthousiasme de certains proches à la réception de leur colis. En effet, globalisation aidant, ces cadeaux venus d’ailleurs ne suscitent plus grande excitation. Comme le dit ma mère, il y a tout à Lomé! Autant de raison pour ne plus se décarcasser pour ramener des cadeaux en tout genre. Pourtant, à chaque fois on se laisse emporter.
Evidemment personne ne veut retourner au pays les mains vides. Vous avez sans doute, au moins une fois dans votre vie, observé un Africain, une Africaine, au départ de l’aéroport, se débattant avec une multitude de valises, se pressant autour de la balance judicieusement mise à disposition par la compagnie aérienne. Suant et haletant pour rajuster les valises aux poids de norme, sous les regards sidérés de certains voyageurs, qui eux n’ont vraisemblablement pas de familles nombreuses ! Eh bien, sachez que ces gens que vous regardez peut-être d’un air ahuri, ce sont des gens de bonne volonté qui veulent faire plaisir à leur famille au pays, aux dépens de leur propre santé physique et mentale ! Comme eux donc, je commence à chercher les cadeaux inédits pour mes parents, mes cousins, mes amis. Avec mes six mois d’avance, je guette les soldes, je déniche les bonnes affaires, et j’entasse un bric-à-brac, sans trop réfléchir aux conséquences, en l’occurrence le potentiel d’excédent de bagages, jusqu’à quelques jours avant le départ. A ce moment-là commenceront mes sueurs froides.
Après toutes ces années passées à l’étranger, et de nombreux voyages, je suis toujours anxieuse à l’approche d’un déplacement en avion. Pas, comme certains, par peur de me retrouver dans les airs. Mes frayeurs se matérialisent sur terre, avant la bataille des bagages qui aura lieu au comptoir d’enregistrement, sous le regard irrité de mon conjoint. Plus de 15 ans de vie commune et il ne s’est toujours pas résolu à accepter mon problème d’excédent. Selon lui, il y a 10 ans quand nous n’étions que deux et voyagions avec 4 valises, le problème pouvait se justifier. Aujourd’hui avec nos 2 enfants, nous voyageons avec 8 valises à notre actif, et il m’arrive encore d’avoir des excédents ! J’ai beau faire des efforts, mais je me retrouve toujours avec trop de bagages. Tout récemment j’ai fait une petite introspection sur la question. Ne dit-on pas que le premier pas pour guérir d’un mal est de le reconnaître et d’y faire face? J’ai donc bien analysé la situation et je suis arrivée à une conclusion : je suis incurable! Il va juste falloir prévenir à défaut de guérir. J’en ai d’ailleurs fait part à mon conjoint (un homme prévenu en vaut 4 paires de bras pour gérer les bagages). Il a simplement haussé deux épaules.
Voilà comment se résument les préparatifs pour notre séjour de trois semaines au pays. D’ici au jour du départ, le scénario du comptoir se jouera et rejouera dans mon esprit, avec moi dans le même rôle, et l’hôtesse d’accueil dans un rôle selon sa coupe de cheveux, son humeur du jour, notre heure d’arrivée au comptoir, le nombre de passagers sur le vol, et surtout ma chance. Du coup je me prépare à toutes les éventualités! Une fois l’épreuve du comptoir passée, je pourrai commencer à me relaxer et oublier le prix exorbitant du billet, les six mois d’anticipation, l’achat du plus que nécessaire de vacances, la collecte des cadeaux déjà vus, le stress du trop-plein des valises, le regard courroucé des hôtesses au comptoir d’enregistrement, les soupirs d’impatience des autres passagers, et le rictus amer de mon conjoint. Ce dernier lui aussi finira par se laisser prendre par la vague des vacances, dans le hall d’embarquement. Une fois à bord de l’avion, à nous les bons vins, le champagne si on en offre encore. Tant pis s’il n’y a plus de poulet au moment où l’hôtesse de service arrivera à notre rangée. Il faudra bien faire avec les moyens du bord.
*Ce titre est inspiré du titre du roman de Romain Gary, mais le texte n’a rien à voir avec.
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