Qui dit Playdate, dira Sleepover

Article : Qui dit Playdate, dira Sleepover
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Qui dit Playdate, dira Sleepover

Crédit photo: Tete Kitissou
Crédit photo: Tete Kitissou

Jeu d’enfant n’est plus ce qu’il était.

Le moment tant redouté est donc arrivé. Celui où je dois faire face à la question que je craignais viendrait forcément de mes enfants un jour. Non, pas “maman je voudrais un chien”. Celle-là a déjà été réglée, et le compromis est de prendre un chien, soit, mais de le laisser chez les grands-parents au Togo pour le visiter pendant les vacances ! Je parle de celle qui me donne quelques sueurs froides à l’idée d’imaginer mon fils dormir sous le toit d’un inconnu connu, pendant toute une nuit: “maman est-ce que je pourrai faire un sleepover chez Mattieu ?”

Le sleepover comme le playdate est un phénomène du 21e siècle, répandu aux Etats-Unis et qui trouve de plus en plus d’adeptes dans notre monde dit développé. Et pour cause. Les parents organisés à l’extrême que nous sommes, incitent les enfants à des “dates”, des rendez-vous avec leurs amis, copains de classe ou rencontrés pendant les activités extrascolaires. Les enfants se retrouvent pour jouer (et éventuellement dormir) pendant un temps déterminé sous la garde d’un parent ou des 2, un de chaque côté (provoquant parfois des occasions d’embarras quand on se rend compte qu’on n’a pratiquement rien en commun avec le parent d’en face, si ce n’est le fait que nos enfants ont sympathisé et nous obligent à en faire autant). J’ai fini par céder à l’idée du playdate, difficilement il est vrai, parce que le fait même de forcer un temps de jeu me semblait contre nature, de même que l’idée de sympathiser avec quelqu’un simplement pour accommoder les moments de jeux mes enfants.

Il faut dire que pour moi africaine, l’idée de jeu organisé sur rendez-vous ou d’aller dormir chez quelqu’un d’autre n’a rien de si excitant. Pour nous au pays, en grandissant dans nos quartiers populaires, tout regroupement quotidien était matière à jouer, à créer des moments instantanés de bonheur ludique. L’idée d’impliquer nos parents qui pourraient nous gâcher nos retrouvailles par trop de discipline aurait été simplement bizarre. Dormir chez quelqu’un d’autre de notre temps n’aurait franchement rien eu d’extraordinaire étant donné nos longues heures de jeu, après lesquelles nous rentrions éreintés, pour encore aider aux travaux domestiques malgré la fatigue, prendre une douche, et manger avec un œil ouvert, pour enfin s’étaler sur un coin du lit.

Crédit photo: Tete Kitissou
Crédit photo: Tete Kitissou

Autre temps, autre mœurs, et dans le quotidien de nos enfants le jeu spontané n’existe pratiquement plus. Tout est structuré, l’école, les activités, les temps de jeu. Les parents n’ont pas le temps et même pour ceux d’entre nous qui avons un peu de place, un jardin, on craint souvent de laisser les enfants jouer dehors, par crainte des “prédateurs” à l’affût. Les parents sont parfois trop occupés pour sympathiser véritablement avec les voisins, et il n’existe aucune relation digne de suffisamment de confiance pour compter sur l’œil bienveillant du voisin, comme c’était le cas dans notre enfance. Chacun vit dans son château de pierre, heureux de ne rendre aucun compte à personne. Les enfants donc sont terrés chez eux, pas malheureux forcément, entourés qu’ils sont de leurs innombrables appareils électroniques, jusqu’à la prochaine invitation à un playdate.

Il m’a donc fallu me faire à l’idée du playdate et j’ai fini par y prendre goût. J’y ai d’ailleurs fait d’excellentes amitiés, y compris suite à la rencontre avec les mamans lesbiennes d’un copain de mon fils pendant un playdate. Occasion sans laquelle je n’aurais pas eu l’opportunité de comprendre leur choix de vie, et de voir à quel point ces deux mamans sont aussi efficaces qu’un père et une mère (loin de moi l’idée d’ouvrir un débat sur l’homosexualité. Simplement je constate que les idées reçues ont parfois besoin de moments forcés pour être remises en question). Le playdate est donc devenu un acquis chez nous et une fois par mois pour chacun de mes fils (donc un week end sur 2 pour moi) je fais l’effort de trimballer ma progéniture, un café à la main, vers de nouvelles aventures que moi et l’autre maman auront concocté d’avance.

Le sleepover par contre, je n’y arrive pas. Du moins pas encore. Et pour plusieurs raisons. Mon fils aîné est turbulent de nature. Il court tout le temps, il roule, il crie, et bouge comme il l’entend, et étant un bonhomme costaud pour ses 9 ans, il donne l’impression d’un pré-ado qui refuse de grandir. Il n’a que 9 ans mais on lui en donnerait facilement 12. L’effort pour le contenir est incessant, les 4 ou 5 activités sportives qu’il exerce ne suffisent pas pour dompter son trop plein d’énergie. Et étant donné la difficulté que nous avons, nous ses parents, à le faire tenir en place, je ne peux vraisemblablement pas imposer une telle exigence aux parents de ses amis, et ce pendant 12 heures ou plus! Mon fils cadet est bien plus tranquille mais, aussi injuste que cela puisse paraître, la règle s’impose à tous les 2.

Il y a aussi mon malaise à l’idée d’imaginer mes enfants chez quelqu’un que je ne connais pas intimement. L’intimité dont je parle est celle où chacun enlève son maquillage quotidien, homme ou femme, où l’on cesse de prétendre, et on montre ses “vrais couleurs” hors des regards indiscrets. Que deviennent alors ces parents? Je sais ce que je peux et ne peux pas supporter, et je sais comment l’exprimer à mon entourage, sans prendre de gants. Pourrais-je maintenir  un certain niveau de contrôle devant l’enfant d’autrui? Même dans le cas où on me casserait un objet inestimable, par exemple? Difficile à dire. La confiance en soi est une chose, et celle en l’autrui en est toute une autre. Je ne peux donc pas laisser mon fils dormir chez quelqu’un tant que je ne serai pas sûre de pouvoir recevoir un autre enfant chez moi pour toute une journée (une nuit!), et me sentir totalement à l’aise et sûre de pouvoir faire face à toutes les éventualités.

Autre raison, la peur de l’inconnu. Une amie se plaint aussi de devoir faire face au même dilemme du sleepover que sa fille demande à corps et à cris, et verse un fleuve de larmes intarissables devant le refus de ses parents. Ce n’est pas mon amie qui n’en veut pas, mais son mari qui n’accepte pas que sa fille aille dormir chez sa copine dont le papa divorcé se retrouverait seule la nuit avec les deux fillettes. Le mari de mon amie affirme que ce n’est pas par manque de confiance ou pour avoir décelé des velléités mal dissimulées de maniaque chez le papa en question, mais simplement qu’il ne peut dormir des deux oreilles et yeux, sachant sa petite fille dans une condition où lui son père ne serait pas en contrôle. Pensez ce que vous voudrez de ce père, mais moi je ne vois là que l’anxiété normale d’un parent qui regarde trop la télé. Les mauvaises nouvelles relatées dans les médias de crimes horribles en tous genres sont autant d’éléments qui nous manipulent, nous terrifient jusqu’à faire de nous des papas et mamans paranoïaques. Il existe bien sûr des situations réelles de risques, mais parfois nous les exagérons. Je dis ceci pour me convaincre un peu mais je ne suis pas pour autant convaincue de mes propres arguments, et je ne serai pas surprise si beaucoup sont dans mon cas.

Il m’a fallu du temps pour accepter le playdate mais j’y suis arrivée, et je suppose que le temps viendra où il me faudra également adhérer au “sleepover” club. Je sais qu’au bout du compte l’expérience sera bénéfique pour mes enfants. Ils auront la chance de vivre autre chose, une chance de se débrouiller loin de nous leurs parents, un signe d’indépendance et de confiance en eux-même aussi. Je finirai donc par céder au sleepover. Mais pas tout de suite. Je viens d’ailleurs de signer un pacte avec les intéressés. Tant que leur chambre ne sera pas rangée correctement tous les matins, on ne pourra pas y recevoir des amis pour dormir dedans, et encore moins aller créer le même débarras chez les autres ! Et franchement je crois qu’on a encore du pain sur la planche.

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